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Ce sujet planait déjà depuis une dizaine d’année dans la tête d’André PRINGOLLIET, maire d’Ugine, mais le conseil municipal du 30/01/1949 a tout fait basculer.
Mettant en évidence la fermeture de la ligne de chemin de fer Albertville-Annecy au trafic voyageurs depuis le 15/05/1938, les Uginois doivent rallier Albertville par d’autres moyens pour attraper la « Micheline » de 05h10 pour Chambéry. Hélas ! L’autocar Crolard effectuant la liaison depuis Ugine n’arrive qu’après. Malgré sa plaidoirie auprès de la Commission de Coordination des Transports du 19/11/1948, la SNCF n’a rien voulu entreprendre au prétexte qu’un contrat a été conclu avec l’autocariste et ne peut être modifié (sic).
C’est donc un argumentaire en 5 points qui a été bâti par André PRINGOLLIET pour légitimer ce rattachement.
1) Géographiquement : le canton d’Ugine est une enclave dans le département voisin « une main qui s’enfonce ».
2) Économiquement : le ravitaillement est mieux assuré côté Haute Savoie (n’oublions pas que nous sommes encore dans la phase de reconstruction après guerre)
3) Spirituellement : le canton appartenait autrefois au département du Mont-Blanc et reste rattaché au diocèse d’Annecy
4) Administrativement : le centre de décision (préfecture) le plus proche sera à 36 kms au lieu de 60 kms
5) Touristiquement. Les stations touristiques de Crêt-Volant, St Nicolas-La-Chapelle, etc. auraient intérêt à se rapprocher du centre d’influence d’Annecy mieux organisé en matière de tourisme.
A l’issue de ce conseil municipal, la proposition de rattachement est adoptée par 12 voix pour et 7 contre, 3 conseillers étant absents. Bien entendu cette décision fut accueillie fraichement et battue en brèche par diverses entités :
-La chambre de commerce de Savoie, par le biais de son président J. CHAMBRE ( !!) précise que l’abandon de la liaison ferroviaire Annecy-Albertville est surtout imputable à la Haute Savoie puisque majoritairement parcourue en ce département (32 kms contre 14 kms) et que le rattachement ne changerait pas la situation. Cette même chambre de commerce assène que désormais l’avenir est au transport routier (hélas !). Quant à l’enclave constituée par le canton d’Ugine, elle correspond à la ligne de partage des eaux matérialisée par la chaine des Aravis. En outre, il n’appartient pas au maire d’Ugine de parler au nom des communes touristiques de Savoie.
La chambre de commerce évoque également le déséquilibre qui serait causé entre les deux départements au niveau territoire, population et fiscalité.
Le problème d’approvisionnement d’Ugine serait à étendre à tout le département de la Savoie qui connait partout le même déséquilibre
- Les communes du canton, placées devant le fait accompli ont mis ce sujet à l’ordre du jour de leur conseil municipal, et le résultat fut sans appel : Cohennoz (non à l’unanimité), Outrechaise (7 contre 1 pour), St Nicolas La Chapelle (6 contre 5 pour). Les autres n’ont même pas jugé bon d’aborder ce sujet…
-L’ingénieur TPE d’Ugine, M Francoz et conseiller municipal d’Ugine qui a voté contre, craint qu’en cas de rattachement, le canton d’Ugine serait le parent pauvre de la Haute Savoie et le dernier servi en matière d’aménagements.
- Les aciéries d’Ugine ne prennent pas position car elles recrutent leur personnel dans les deux départements et ne veulent surtout pas barboter dans ce marigot politique.
- L’Uginois de la rue, interpellé par la presse, prend tout ça avec le sourire et assure que « ses arrières petits enfants ne verront jamais cette demande aboutir » Certains mêmes assurent que si le vote de leur conseil municipal s’était déroulé à bulletin secret, le résultat en eût été différent !
Et voilà qu’intervient Jules BIANCO, conseiller général du canton et beau frère du maire qui donne son sentiment par voie de presse. Il encense tout d’abord son action car il a su moderniser et dynamiser sa municipalité d’Ugine, mais en précisant que ceci a pu être réalisé avec les subsides versés par La Savoie, département qu’il décrie désormais. Et les centres de décisions évoqués par le maire ne se limitent pas aux préfectures ; la sous-préfecture d’Albertville étant largement habilitée. Et il conclut avec malice que rien ne démontre que le département voisin soit d’accord pour accueillir Ugine, et que cette initiative n’aurait sans doute jamais vu le jour si M PRINGOLLIET avait été élu lors des dernières sénatoriales le 07 novembre 1948.
Dès le 19/01/1949 le Sous-préfet d’Albertville, avisé des intentions du Maire d’Ugine rédigeait un rapport préliminaire au Préfet en lui exposant le contexte. Il conclut ce texte en estimant qu’il s’agit d’une « petite comédie » destinée à mobiliser tous les parlementaires et conseillers pour attirer l’attention sur un problème bien moins important qu’il n’y a lieu.
Il complète ce rapport dès le 31/01/1949, une fois que la décision du conseil municipal d’Ugine a été annoncée. Il y est répété qu’il ne s’agit là que d’un mouvement d’humeur de M PRINGOLLIET qui a connu des désillusions lors des dernières élections au Conseil de La République (nom du Sénat sous la IVème), et que tous les arguments avancés n’ont pour objet que d’étoffer un rapport sur les transports qui aurait été sans tout cela « bien sec ». À noter que cette dernière saillie lui été soufflée par Jules BIANCO en personne….
A la vue de toute cette agitation, la Préfecture de la Savoie a rédigé un rapport au Conseil Général. Il reprend tous les arguments du rattachement et les démonte un par selon la même logique que ce qui est évoqué plus haut. Il est précisé que les problèmes d’approvisionnement constatés actuellement devraient se régulariser rapidement, et que les fidèles de l’arrondissement d’Albertville sont rattachés à plusieurs évêchés (St Jean Mne, Chambéry), selon leur lieu d’habitation et pas seulement à Annecy. Cette situation est consécutive à l’annexion de 1860, dans laquelle les découpages issus du Concordat (1801) n’avaient pas été intégrés.
A l’issue de ce rapport il est demandé au Conseil Général de produire son avis ; on devine ce qu’il en fût…
Et maintenant :
Ugine est toujours dans le giron de la Savoie
La voie entre Annecy et Albertville, dont la construction a débuté au printemps 1895, est inaugurée le 3 juin 1901.Son utilisation pour les voyageurs a cessé le 15 mai 1938 pour cause de défaut de rentabilité, donc sans rapport avec le conflit mondial à venir. Elle a continué pour le trafic des marchandises jusqu’en 1964 entre Albertville et Annecy et jusqu’en 1988 entre Albertville et Ugine. Elle est actuellement exclusivement à l’usage d’Ugitech mais des travaux de consolidation sont à prévoir. L’emprise de la voie a été transformée en piste cyclable d’Annecy à Ugine
Et voici résumé le parcours exceptionnel de deux personnages issus du même terroir (dont un d’origine italienne) ayant partagé la même exaltation pour leurs administrés et ayant les mêmes familles, d’abord en épousant deux sœurs, puis en rejoignant la résistance.
